Le drame d'une agonie, c'est qu'on peut en rire jusqu'à en oublier les délabrements dont nous sommes responsables. Cet enjouement tragique de l’écriture de soi dans l’œuvre d’Eugène Ionesco est d’une modernité fracassante. La pièce Le Roi se meurt est un miroir renversé dont la préscience des réflexions n’a pas besoin de chresmologues de tréteaux pour être appréciée. C’est une rhétorique de l’évidence qui oblige la vérité à s’énoncer.
L’évanescence et la mort hantent les siècles. Mais dans ces temps d’épuisement, ils ont pris la forme brutale d’un effondrement inévitable qui nous fait osciller entre révoltes et abandons.
Eugène Ionesco expliquait dans une interview en 1963 que cette pièce était « Une sorte de libération de cette angoisse et de cette libération devrait en profiter je l’espère aussi les spectateurs. » Il rajoutait d’ailleurs que le roi Béranger est « l’homme universel » car précise-t-il « Tout homme est une sorte de Roi au centre de l’Univers. L’univers lui appartient. Jusqu’au moment où justement tout cela s’écroule. »
Le roi Bérenger 1er s’effondre et tout s’effondre avec lui. Dans cette cérémonie des écroulements, dans ce cirque extraordinaire, la vie et la mort dialoguent pour métamorphoser notre peur en rire, notre déni quotidien en conscience éveillée.
Le Roi se meurt est un conte pour adulte et enfant qui nous apprend, à l’usure du temps, qu’il faut prendre soin du corps du monde car il s’agit aussi finalement de notre propre corps. Il est toujours de mauvaise politique de l’ignorer et d’attendre la dernière orée pour oser affronter cette réalité. Le rire étant sans clémence cela se fait sans indulgence mais nous permettra au dernier acte de vivre pleinement : « Tu respires. Tu ne penses jamais que tu respires. Penses-y. C’est un miracle. »
L’esprit clownesque de Eugène Ionesco fait du rire une larme désaltérante où notre conscience peut s’abreuver pour ne pas « mou-ou-ou- ou-ou-ou-ou-rir » .
Il nous apprend que toute agitation et culbutes sont inutiles lorsque l’inévitable surgit, qu’une société chancelante n’est que la traduction indifférente de nos scotomisation politiques.
Peu de temps avant sa mort Ionesco avait déclaré : « Soyons gais, mais ne soyons pas dupes. Une seule issue, peut-être ? C’est encore la contemplation, l’émerveillement […] tant que cela nous sera possible. »
Le roi Bérenger 1er n’est peut-être qu’un clown qui cherche un rire apaisant pour ne pas étouffer lorsque le temps fond dans ses mains.
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