L’exuvie des naufragés

 

Des naufragés au regard fou marchent dans la rue.

Ils promènent leurs enfants les tenant si bien par la main que l'on ne sait plus qui guide qui.

Des hommes et des femmes dépiautés traînent, derrière eux, leur peau comme une bouée.

Épuisés, ils flottent à la surface des choses et attendent apeurés d'êtres engloutis.

Ils sont de plus en plus nombreux, bousculés par la peur, à chercher refuge entre leur chair et leur peau.

Allergiques aux moindres sollicitations intérieures et extérieures, ils se protègent comme ils peuvent, usant de toute la panoplie technique, chimique et éthique disponible, l'enrichissant au besoin.

Là, au milieu de cette double paroi, confit de solitude, ils projettent leurs images : souvenirs d'écorchures dont les apparitions les pèleront puis les effaceront.

Fantômes d'eux-mêmes, reflets amoureux de leurs reflets, ils n'ont plus à vivre ce qu'ils projettent de vivre.

Ils n'ont plus à souffrir.

Mourir n'est pour eux qu'une répétition, une accumulation enregistrée, un enfantement à reculons, une crise de nerfs muette, peureuse aux moindres battements d'ailes d'un papillon.

C'est l'un de ces naufragés que j'aimerais capturer, étudier et représenter dans son scaphandre de solitude.

En transférant leurs émotions dans des parures, ils se sont offert des carapaces d'insectes insensibles à toute beauté.

Ce sont les papillons de notre temps.

Jean Lambert-wild