Le Terrier - Texte de l'adaptation

 

 

 

Le Terrier

( Der Bau )

 

Franz Kafka

Adaptation: Jean Lambert-wild

 

 

 

J’ai aménagé ma maison, et le résultat semble être une réussite. On se méprendrait sur mon compte si l’on croyait que je suis lâche et que je m’aménage une maison par pure couardise. Ma maison est aussi bien protégé qu’il est possible de l’être en ce monde ; bien sûr, quelqu’un peut y pénétrer et tout détruire à jamais. Je le sais fort bien, et même aujourd’hui, à l’apogée de ma vie, je n’ai pas une minute de réelle tranquillité : Je suis mortelle, et je vois souvent dans mes rêves un museau qui ne cesse de renifler avidement alentour.

La prudence exige que l’on risque sa vie.

Un gâteau !

 

Je vis en paix au cœur de ma demeure, et pendant ce temps, quelque part, l’ennemi creuse lentement et silencieusement tout en se rapprochant de moi ; peut-être m’ignore-t-il autant que je l’ignore, mais il existe des ennemis acharnés qui creusent aveuglément... Evidemment, j’ai l’avantage d’être chez moi, de connaître parfaitement tous mes couloirs et leurs orientations. Le bandit peut très bien devenir ma victime. Mais je me fais vieille, beaucoup sont plus forts que moi, et mes ennemis sont innombrables ; en voulant échapper à l’un, je pourrais tomber entre les griffes de l’autre. Et ce ne sont pas seulement les ennemis extérieurs qui me menacent. Il y en a aussi à l’intérieur de la terre. Je ne les ai encore jamais vus, mais il est question d’eux dans les légendes et je crois fermement à leur existence. Ce sont des esprits souterrains. Ils arrivent, on entend leurs ongles gratter juste au-dessous de soi ; à ce moment ont est déjà perdu.

Outre ce grand couloir, je suis reliée au monde extérieur par d’autres couloirs très étroits et assez peu dangereux qui me procurent un air respirable. Ils me permettent de flairer les choses à distance et m’assurent donc une protection. C’est aussi grâce à eux que viennent à moi toutes sortes de bestioles que je dévore, de sorte que je peux disposer d’un menu gibier suffisant pour mes modestes besoins sans même quitter ma maison ; c’est naturellement très appréciable. Mais le plus beau, dans ma maison, c’est son silence. Certes, ce silence est trompeur. Il peut être brusquement rompu, et ce sera la fin de tout.

 

Qu’il est bon de s’être constitué un abri quand l’automne arrive !

Un gâteau !

 

 

 

J’ai élargi les couloirs, j’ai creusé des petits ronds-points où je puis me lover sur moi-même, me réchauffer à ma propre chaleur et me reposer. C’est là que je jouis du doux sommeil que procure la paix : posséder une maison. 

Pauvres vagabonds sans maison, vous qui êtes tapis au mieux dans un tas de feuilles, livrés à tous les dangers du ciel et de la terre ! Moi, je suis ici dans un lieu protégé de toutes parts, et mes heures s’écoulent entre la torpeur et l’inconscience du sommeil. 

Ce n’est pas tout à fait au centre de la maison, mais en un point mûrement choisi en cas de danger extrême que se trouve la place forte. Alors que tout le reste réclamait peut-être un travail plus intense sur le plan cérébral que sur le plan physique, cette forteresse est dans tous ses éléments le résultat des efforts les plus extrêmes que mon corps ait fourni. C’est avec mon front que des milliers de fois, pendant des jours et des nuits, je me suis jetée contre les murs ; j’étais heureuse quand j’avais le front en sang car c’était la preuve que la paroi commençait à être solide, et c’est ainsi que :

 

J’ai bien mérité ma forteresse.

Un gâteau !

 

 C’est là que je rassemble mes provisions ; tout ce que j’attrape, je l’entasse ici. Je peux les étaler, me promener parmi elles, jouer avec, jouir de leur multitude et de leurs différentes odeurs, tout en gardant un aperçu précis de ce que je possède. Je peux aussi à tout moment procéder à de nouveaux rangements. Il me semble parfois dangereux de baser toute la défense dans la place forte. Il me paraît plus conforme à la prudence de disperser un peu les provisions. Chacun de ces nouveaux plans exige toutefois un énorme travail de transport. Certes, je peux le faire tranquillement sans trop me presser, cependant il me semble que la répartition peut être source de graves dangers et doit être sur l’heure rectifiée, sans tenir compte de mon état de somnolence et de ma fatigue ; alors je cours, alors je vole, je n’ai plus le temps de faire des calculs ; n’importe quel changement apporté à la situation présente, suffit à me contenter. Jusqu’au moment où, je reprends mes esprits et ne comprends plus toute cette précipitation ; je hume alors profondément la paix de ma maison que j’ai moi-même troublée. Je m’endors aussitôt et à mon réveil :

 

Je me retrouve avec un rat entre les dents.

Un gâteau !

 

Il y a aussi des périodes où la meilleure solution me semble de rassembler toutes les provisions au même endroit. Beaucoup de choses ne risquent-elles pas de se perdre avec toutes ces répartitions ? Je ne peux pas passer mon temps à galoper dans tous les sens à travers mes couloirs pour vérifier si tout est en bon état. Le principe d’une répartition des provisions est certainement juste, mais seulement si on dispose de plusieurs endroits semblables à ma place forte. Evidemment ! Mais qui peut arriver à les construire ? Je veux bien reconnaître que c’est là un défaut de ma maison, de même que c’est toujours une erreur de ne posséder une chose qu’à un seul exemplaire. Et j’avoue aussi que pendant toute la construction de ma maison j’avais à l’esprit la nécessité d’aménager plusieurs places fortes, idée assez confuse mais suffisamment précise si j’y avais mis de la bonne volonté ; mais je n’ai pas cédé à cette exigence, je me sentais trop faible pour ce gigantesque travail, je me sentais trop faible pour prendre conscience de sa nécessité. D’une certaine façon, je me consolais, me disant que ce qui ne suffisait pas d’ordinaire suffirait dans mon cas, à titre exceptionnel, par un effet de la grâce, probablement parce que :

 

La Providence tenait particulièrement à la conservation de ce front qui me servait de marteau-pilon.

Un gâteau !

 

 

Je n’ai donc qu’une seule place forte, je dois m’en contenter. Les petits ronds-points ne peuvent absolument pas la remplacer, et quand cette opinion à bien mûri, je recommence à tout transporter des petits ronds-points à la place forte. C’est alors qu’arrivent des périodes particulièrement paisibles. Heureuses périodes, mais combien dangereuses ! Si on savait en profiter, on pourrait facilement et sans risque m’anéantir. A la suite de telles périodes, j’ai besoin de me ressaisir. J’’inspecte ma maison et, après avoir procédé aux réparations nécessaires, je la quitte quoique toujours pour un laps de temps assez court. En être longtemps privée :

 

Est un châtiment que je trouve moi-même trop dur. 

Un gâteau !

 

Il y a toujours une certaine solennité à approcher de la sortie. Il suffit que je me dirige vers la sortie, pour avoir l’impression de me retrouver dans une atmosphère de grand danger ; il me semble parfois que ma peau s’amincit, que je pourrais bientôt me retrouver à l’état d’écorché, la chair à vif, entouré par les hurlements de mes ennemis.

Je n’ai à donner qu’un coup de tête pour me retrouver dans l’inconnu. Je me retrouve dehors et je me sauve aussi vite que je peux, loin de cet endroit perfide. 

Mais je ne suis pas vraiment à l’air libre, je ne suis ni destinée ni condamnée à la vie libre, je sais que mon temps est compté, quand je le voudrai et quand je serai lasse de cette vie, je serai pour ainsi dire invité chez quelqu’un dont je ne pourrai décliner l’offre.

C’est ce qui me permet de jouir pleinement et sans soucis des moments que je passe ici, ou plutôt je le pourrais, mais c’est impossible. La maison me préoccupe trop. J’ai fui l’entrée à toute vitesse, mais j’y retourne aussi vite. Je cherche une bonne cachette, et pendant des jours et des nuits je surveille l’accès de ma maison. Qu’on me traite de folle, mais cela me tranquillise et me procure une joie indicible. Il me semble alors que je ne suis pas devant ma maison mais face à moi-même en train de dormir, et que j’ai la chance à la fois de pouvoir dormir profondément et de veiller sur moi comme une sentinelle. Je trouve alors, chose surprenante, que ma situation n’est pas aussi grave que je l’ai souvent cru.

J’ai vécu des moments de bonheur où je me disais presque que l’hostilité du monde à mon égard avait peut-être cessé ou s’était calmé. Mais on est tiré brutalement de rêves aussi puérils. Quelle est donc cette sécurité que j’observe ici ? Puis-je juger du danger qui plane sur moi dans la maison d’après les expériences que je fais dehors ? Cette sécurité trompeuse m’expose aux pires dangers. Non, contrairement à ce que je croyais, ce n’est pas sur mon sommeil que je veille. 

 

C’est plutôt moi qui dors tandis que le démon veille.

Un gâteau !

 

Lassée de la vie à l’air libre, je quitte alors mon poste d’observation ; j’ai l’impression de ne plus pouvoir rien apprendre ici. J’ai envie de prendre congé de tout cela, de rentrer à la maison et de laisser les choses suivre leurs cours. Mais ayant pris la mauvaise habitude de voir tout ce qui se passait devant l’entrée, il m’est extrêmement pénible de ne pas savoir ce qui va se passer derrière mon dos. Je ne suis pas loin de décider de prendre le large, de retrouver ma triste vie d’antan dépourvue de toute sécurité. Certes, une telle décision serait une énorme sottise, provoquée uniquement par un trop long séjour dans cette absurde liberté ; la maison est à moi, je n’ai qu’un pas à faire pour être en sûreté. Je m’arrache donc à mes doutes et cours droit à la porte, en plein jour, bien décidée à l’ouvrir, mais je ne peux pas, je la dépasse et me jette dans un buisson d’épines exprès pour :

 

Me punir, me punir d’une faute que j’ignore.

Un gâteau !

 

 

Mais je suis bien obligée de me dire que le danger n’est pas imaginaire, qu’il est parfaitement réel. Car ce n’est pas forcément à l’un de mes véritables ennemis que je donne envie de me suivre, cela peut être aussi bien n’importe quelle petite bête innocente, n’importe quelle petite créature répugnante qui me suivrait par curiosité, et qui par-là, sans le savoir, mettrait le monde entier à mes trousses. Ou pire encore, quelqu’un de mon espèce, quelqu’un qui connaît et apprécie les maisons, une horrible fripouille qui veut un logis sans avoir à le construire. Si seulement il pouvait venir maintenant ! Si sa sale convoitise pouvait lui faire découvrir l’entrée, pour que je puisse enfin, dans un élan de fureur, et délivrée de tout scrupule, lui sauter dessus, le mordre, le lacérer, le déchiqueter, boire tout son sang, pour que je puisse enfin, et ce serait là l’essentiel, être à nouveau dans ma maison ; alors je me reposerais là, je crois, le restant de mes jours. Mais personne ne vient, et je ne peux compter que sur moi-même. Si seulement j’avais quelqu’un de confiance, je pourrais alors rentrer tranquillement. Je me mettrais d’accord avec lui pour qu’il observe bien la situation quand je rentrerai, et qu’il frappe à la porte en cas d’alerte. Mais, s’il ne réclame pas une compensation, ne va-t-il pas vouloir jeter au moins un coup d’œil à ma maison ? Rien que cela, laisser entrer volontairement quelqu’un dans ma maison me serait extrêmement pénible. Je l’ai construit pour moi, pas pour des visiteurs. Je ne le laisserai pas entrer. D’ailleurs je ne le pourrais pas, car soit je devrais le laisser descendre seul, ce qui est absolument inconcevable, soit nous devrions descendre ensemble, ce qui supprimerait l’avantage dont il doit justement me faire bénéficier en observant le terrain derrière moi. Mais qu’en est-il de la confiance ? Si je me fie à quelqu’un quand nous sommes face à face, puis-je continuer à lui faire confiance quand je ne le vois pas ? Il est relativement facile de faire confiance à quelqu’un quand on le surveille, il est peut-être même possible de faire confiance de loin à quelqu’un, mais faire complètement confiance à quelqu’un de l’extérieur quand on est à l’intérieur, je crois que c’est impossible. Non, tout bien considéré, je n’ai pas du tout à me plaindre d’être seule, de n’avoir personne à qui faire confiance. Je n’y perds certainement aucun avantage et m’évite probablement beaucoup d’ennuis. Je ne peux me fier 

 

Qu’à moi-même et à ma maison.

Un gâteau !

 

J’ai dû dormir d’un sommeil léger, c’est un sifflement à peine audible qui m’a réveillé. Il faut que j’ausculte attentivement les parois de mes couloirs pour déterminer l’endroit d’où vient ce bruit parasite. Je veux que mes couloirs soient silencieux. Ce bruit est d’ailleurs relativement anodin, je ne l’ai pas entendu en arrivant; c’est en quelque sorte un bruit que seule l’oreille du propriétaire peut percevoir. Il n’est même pas constant, il fait de grandes pauses provoquées manifestement par un blocage du courant d’air. Il ce fait entendre à intervalles réguliers, tantôt c’est comme un chuintement, tantôt plutôt comme un sifflement. Je pourrai très bien ne pas donner suite, ce bruit est certes très gênant, mais il se peut qu’un tel bruit disparaisse de lui-même au fil du temps ; en outre, il arrive souvent que le hasard vous mette sur la piste du bruit parasite, alors que des recherches systématiques peuvent longtemps échouer. Je me console ainsi, mais c’est plus fort que moi :

 

Il faut que je poursuive mes recherches

Un gâteau !

 

C’est le problème technique qui m’intéresse. En entendant ce bruit dont mon oreille sait distinguer très précisément toutes les nuances, j’imagine, quelle peut en être l’origine. Car tant que je n’ai rien de concret, je ne peux pas me sentir en sécurité, même s’il s’agit que de savoir où va rouler un grain de sable qui tombe d’un mur. 

Alors un bruit pareil ce n’est certainement pas une affaire insignifiante. Mais j’ai beau chercher, je ne trouve rien, ou plutôt je trouve trop de choses. A vrai dire, ce n’est rien, je pense parfois que personne d’autre que moi ne pourrait l’entendre. Il ne grossit pas, je m’en rends compte. C’est un bruit infime, la simple haleine d’un son. Mais si j’avais deviné l’origine du bruit, il aurait dû être émis avec une intensité maximale à un endroit précis. Il est encore possible qu’il y ait deux sources sonores. Jusqu’ici, c’est de loin que j’ais perçu le bruit de ces deux sources, et quand je me rapproche de l’une d’elles, son bruit certes augmente, mais comme le bruit de l’autre diminue, le résultat final est pour l’oreille à peu près le même. En tout cas : 

 

Je dois élargir mon champ d’expérimentation 

Un gâteau !

 

 

Je dois me mettre au travail. J’ausculte les murs, et partout où j’écoute, en haut et en bas, au niveau des murs ou du sol, partout, partout le même bruit. Et que de temps, que d’efforts réclament l’écoute permanente de ce bruit! On peut, si on le veut, trouver une mince et illusoire consolation en se disant que dans la place forte, contrairement aux couloirs, quand on éloigne son oreille du sol, on n’entend plus rien. On pourrait penser que ce que j’entends, ce sont des petites bêtes au travail. Mais cela contredirait tout ce que l’expérience m’a appris. Je ne peux tout de même pas me mettre à entendre soudain un bruit que je n’ai jamais entendu, bien qu’il existât depuis toujours. Ma sensibilité aux bruits gênants a peut-être augmenté dans la maison au fil des ans, mais mon ouïe ne s’est certainement pas affinée. Peut-être s’agit-il d’un animal que je ne connais pas encore. Il ne s’agit pas d’un animal isolé. Tout un troupeau a envahi mon territoire ! Un énorme troupeau en migration! C’est possible. Le monde est d’une grande diversité et :

 

Les mauvaises surprises ne manquent jamais.

Un gâteau !

 

 

Je vais creuser dans la direction d’où viennent ces bruits, et je ne m’arrêterais pas  avant d’en avoir trouver la vraie cause. Ensuite, j’éliminerai cette cause, si c’est en mon pouvoir, mais si c’est impossible, j’aurai au moins une certitude. Cette certitude m’apportera soit la paix, soit le désespoir, mais quoi qu’il arrive, ce sera dans les deux cas indubitables et justifiés. Qu’est ce qu’il y a au juste ? Un léger chuintement seulement audible entre de longues pauses, un rien auquel on pourrait, je ne dirais pas s’habituer, car on ne pourrait pas s’y habituer, mais que l’on pourrait observer quelque temps sans rien entreprendre pour l’étouffer. Et moi je promène mon oreille le long des murs, non pas pour trouver quelque chose mais pour avoir une activité à la mesure de mon inquiétude. J’espère que cela va changer maintenant. Et en même temps je ne l’espère pas ; comme je dois me l’avouer, les yeux fermés, furieuse contre moi-même :

 

L’inquiétude ne cesse de frémir en moi.

Un gâteau !

 

 

Je vais creuser, je n’ai pas d’autre solution, mais je ne vais pas m’y mettre tout de suite. Je vais repousser un peu cette besogne. Si je veux remettre le bon sens à l’honneur, il faut que ce soit entièrement. Nécessité fait loi  Je vais creuser un tunnel qui me conduira au but. Il sera probablement long, et s’il ne mène à rien il sera sans fin. 

Ce travail implique une absence assez longue hors de la maison, pas une absence aussi grave que lors de mes séjours à l’extérieur, je peux interrompre le travail quand je veux pour aller visiter mon home. Il me faudra m’éloigner de la maison et m’abandonner à un sort incertain. C’est pourquoi je veux laisser derrière moi une maison en bon ordre ; il ne faut pas qu’on puisse dire que moi qui luttais pour la paix de ma demeure, je l’ai troublée moi-même sans chercher à la rétablir aussitôt. Quand je reviendrai et que la paix sera rétablie, j’améliorerai définitivement les choses, et tout se fera alors en un clin d’œil. Bien sûr, dans les contes de fées tout se fait en un clin d’œil, et :

 

Cette consolation est tout aussi chimérique

Un gâteau !

 

Il me semble parfois que le bruit cesse, il fait effectivement de longues pauses ; il peut arriver aussi qu’on n’entende plus le “ chut.. ” tant est forte la pulsation du sang dans l’oreille, alors deux interruptions n’en font plus qu’une et pendant un court instant on croit que le chuintement s’est arrêté pour toujours. On arrête d’écouter, on saute de joie, la vie s’est transformée, c’est comme si s’ouvrait la source qui dispense le silence de la maison. On se garde de vérifier immédiatement cette découverte, on cherche d’abord quelqu’un à qui la confier avant de la remettre en doute, on veut se convaincre encore une fois de la chose, on tend l’oreille, mais l’écoute la plus superficielle révèle immédiatement que l’on s’est honteusement trompé : imperturbable, le  “ chut.. ”  continue au loin. Alors on retourne à son travail, on ne sait même plus lequel. On commence à faire machinalement quelque chose, comme si le surveillant était arrivé et qu’il :

 

Fallait lui jouer la comédie

Un gâteau !

 

Mais à peine a-t-on recommencé à travailler qu’on fait une nouvelle découverte. Le bruit semble être devenu plus fort, pas beaucoup plus fort naturellement, mais un peu plus fort tout de même, et nettement sensible à l’oreille. Et cet accroissement semble être un rapprochement, on “ voit ” le bruit qui augmente. On “ voit ” le pas qui le rapproche. D’un bond on s’écarte du mur, on essaie d’embrasser cette découverte. On a le sentiment de n’avoir jamais organisé la maison pour se défendre contre une attaque, on en avait l’intention mais, au mépris de l’expérience, on a cru le risque d’une attaque, et par conséquent la nécessité de se défendre, forts lointains – non pas lointains, mais beaucoup moins urgents que les aménagements pour une vie paisible auxquels on a donc donné la priorité dans toute la maison. J’ai eu beaucoup de chance pendant toutes ces années, la chance m’a trop gâté, j’étais inquiète, mais quand on nage en plein bonheur, l’inquiétude ne mène à rien.

Dans ma vie, j’ai toujours fait trop de pauses, beaucoup trop de pauses. J’ai été aussi insouciante qu’une gamine, j’ai passé mes années de femme mûre en jeux puérils, mon esprit n’a fait que jouer avec l’idée du danger, et j’ai omis de penser aux véritables risques. Et pourtant :

 

Les avertissements n’ont pas manqué.

Un gâteau !

 

 La maison est là, sans défense, et le peu de forces qui me reste m’abandonnera au moment de l’affrontement décisif. J’ai beau être âgée, il me semble que j’aimerais l’être encore plus, devenir si vieille que je ne pourrais plus me relever du lieu de mon repos. Je vais rejoindre en toute hâte les profondeurs de la maison. Tout ce qui m’entoure semble me regarder, puis vite se détourner pour ne pas me gêner, puis s’efforcer de lire sur mon visage la décision qui sauvera la situation. Je n’ai pris aucune décision ! Je devrais me gaver tant que j’en ai encore la possibilité. C’est sans doute la seule chose qu’il me reste à faire. Dans ma maison, je peux tout rêver. Je peux même rêver d’une entente. La bête semble être très loin, si elle se retirait, je pense que le bruit disparaîtrait et peut-être tout s’arrangerait-il. Je n’aurais fait qu’une expérience pénible, mais bienfaisante. En attendant :

 

Rien n’a changé !

Rien n’a changé !

Rien n’a changé !

Rien n’a changé !

Rien n’a changé !

Rien n’a changé !

Rien n’a changé !

Rien n’a changé !

Rien n’a changé !

 

 

 

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