Extrait du texte

 

Emmurée de ses rivages, 

L’île gardait l’île. 

La peur était enterrée dans les fougères. 

Elle nourrissait les fruits. 

Le jus terreux de la canne à sucre rappelait aux hommes nés sur l’île qu’ils étaient sucres et venins, 

Engendrés par morsure de cette peur enfouie dans la terre.  

La part immangeable de l’île.

 

 

Au fil du temps, 

Des dieux venus d’autres îles et d’autres continents s’étaient échoués sur les galets de lave arrondis par la houle. 

Comme tous ceux qui n’étaient pas nés sur cette île, 

Ils avaient prospéré puis s’étaient décomposés, 

Rejoignant le compost des rêves que la pluie ravinait dans la mer.

 

 

La mer noire et sans racine dégueulait parfois des hommes. 

Ils sortaient de l’eau pleins de force et de vie, 

Gravissaient les pentes abruptes de la montagne pour s’apercevoir à son sommet qu’ils étaient seuls et abandonnés. 

 

 

Alors, 

Ils se laissaient tituber jusqu’à la côte pour accueillir d’autres hommes qu’ils espéraient plus fort qu’eux. 

 

 

Certains, 

Dont les pieds et les mains étaient moins acérés, 

Tombaient dans des crevasses gigantesques. 

Entourés par les falaises, 

Ne voyant plus la mer, 

Ils perdaient l’ailleurs et le maintenant. 

De naissance en naissance, 

Leurs yeux prenaient la couleur et la forme de l’île ; 

Une pointe de rouge et de noir acérée de sang, de lave et de feu.

 

 

Mon père, 

Dont les yeux d’outremer étaient un antidote à la fatalité, 

Débarqua sur l’île avec le courage du destin. 

Il était précédé d’un nuage de guerre et d’un vent de famine. 

Nuées venues d’un monde fasciné par son holocauste que seule l’odeur enivrante des géraniums faisait oublier. 

 

 

Il était là, 

Bâtisseur d’un troupeau 

Dont les nerfs, la viande et les os seraient une digue contre la révolte des affamés. 

 

 

Mais ici, 

Sur l’île, 

Les parades des démons étaient plus puissantes et dangereuses que l’iris tranchant du regard de mon père. 

Le fouet de sa volonté pourrissait dans la moiteur des interdits. 

Habitué aux tambours de la solitude, 

Aucun homme ne voyait dans les yeux des maigres génisses l’appel d’une prospérité construite sur le meuglement uni de toutes leurs matrices dévorées par les mouches. 

Ils se détournaient de mon père. 

 

 

L’idée d’un troupeau était un affront à la nature même de l’île 

Qui, pour leur garantir une pitance, 

Isolait les bêtes et les hommes en d’étroites cavernes, 

Certaines sombres, 

D’autres éclairées, 

Toutes creusées par les cauchemars noués des hommes, des bêtes et des pierres.

 

 

A cet instant, 

Je n’étais pas sorti du ventre de ma mère. 

Elle hésitait à déposer son œuvre dans l’orifice d’une terre qui lui était inconnue. 

 

 

Incapable d’une naissance, 

Mon père rejoignit la lignée des combattants qui perdaient leurs noms en luttant contre l’Eternel. 

 

 

Vaillant et sans espoir,

Il cimenterait un troupeau avec sa moelle et celle encore fraîche de ses futurs enfants.

Ce qu’un homme ne pouvait accomplir, 

Le bras armé de sa généalogie  s’en chargerait. 

 

 

En attendant, 

Il lui fallait une monture digne de porter son insolence.

Elle s’appellerait Adam.

Elle serait un taureau.

 

 

Il me fallait naître. 

Je le fis après que mon frère ait pris souche.