Carnet de bord # 3 Space Out Space

Par Jean Lambert-wild

 

Nous nous sommes tous retrouvés ce matin à Novespace. L’équipe est au complet. Elle comprend François Royet cinéaste, Tristan Jeanne-Valès Photographe, Christophe Farion régisseur son et vidéo et Claire Seguin directrice technique. Seul François, Tristan et moi embarquerons à bord de l’A300 Zéro-G.

Le programme de la journée est chargé. Il commence par un briefing de sécurité sol, la revue des expériences, leur préparation et en début d’après-midi par le chargement de quelques unes des expériences prêtes et approuvées par Novespace à bord de la carlingue.

Avant de monter dans la carlingue, je suis saisi d’une appréhension et je mesure l’importance de l’enjeu de sa réalisation. Je passe en revue les différents paramètres de l’espace et le profil du vol. Celui ci se compose d’une première séquence de 6 paraboles décomposée comme suit #0 à 3 minutes, #1 à 6 minutes #2 à 9 minutes, #3 à 12 minutes, #4 à 15 minutes, #5 à 18 minutes puis une pause de 5 minutes et à nouveau une deuxième séquence de 5 paraboles #6 à 24 minutes, #7 à 27 minutes, # 8 à 30 minutes, #9 à 33 minutes, #10 à 36 minutes puis une pause de 5 minutes et à nouveau une troisième séquence de 5 paraboles #11 à 43 minutes, #12 à 46 minutes, # 13 à 49 minutes, #14 à 52 minutes, #15 à 55 minutes, alors suit une pause plus importante de 8 minutes avant les trois prochaines séquences décomposées comme suit d’une quatrième séquence de 5 paraboles #16 à 65 minutes, #17 à 68 minutes #18 à 71 minutes, #19 à 74 minutes, #20 à 77 minutes, puis une pause de 5 minutes et à nouveau une cinquième séquence de 5 paraboles #21 à 84 minutes, #22 à 87 minutes, # 23 à 90 minutes, #24 à 93 minutes, #25 à 96 minutes puis une pause de 5 minutes et la sixième et dernière séquence de 5 paraboles #26 à 102 minutes, #27 à 105 minutes, # 28 à 108 minutes, #29 à 111 minutes, #30 à 113 minutes.

Lors des trois vols, je devrais donc suivre ce protocole et maintenir une concentration absolue pendant 113 minutes. Cela me donne le tournis et je détermine tout de suite qu’il faut que je recompose l’ensemble de mon protocole poétique associé à chaque parabole. Je me suis bien sûr entrainé, mais il faut que je pousse plus loin l’ordonnance et la tenue de chacune de mes intentions et de la chorégraphie que je dois réaliser. Il faut aussi que je soit très attentif à la question des référents internes et externes lors des phases de gravité Zéro. Le cube noir que je porterai en permanence brouillera tous mes référents. Il me faudra donc m’adapter en situation et porter ma vigilance sur mes référents internes. Je l’imagine déjà comme l’énergie stable d’une solitude.

Un autre point important et de bien comprendre les enjeux des autres expériences scientifiques embarqués à bord car quelques unes pourront enrichir notre expérience.

Je pense particulièrement à L’expérience N°5 : Identification des processus d’ajustements posturaux d’origine vestibulaire et adaptation à l’environnement spatiale du laboratoire de l’INCIA.

 

La composition de leur équipe est la suivante :

GUILLAUD Etienne (coordinateur principal), Ingénieur de recherche

CAZALETS Jean-René, directeur d’unité

GUEHL Dominique, PU/PH CHU de Bordeaux

HALGAND Christophe, Post-doctorant

BESTAVEN Emma, Ingénieur de recherche

 

Voici la description passionnante de l’objectif scientifique et des applications de l’expérience faite par l’équipe :

OBJECTIF SCIENTIFIQUE

Ce projet biomédical à pour objectif de mieux préciser le rôle des muscles du tronc dans la locomotion humaine. Les mécanismes mis en jeu au cours de la marche ont été largement étudiés pour ce qui est des jambes, et notre équipe a récemment mis à jour l’implication du tronc dans la locomotion en décrivant une commande rythmique qui favorise le maintien de l’équilibre.

Nous émettons aujourd’hui l’hypothèse que le rôle essentiel des activités observées au niveau des muscles du dos lors de la marche est le maintien du corps en position verticale. Cela se ferait par l’alignement du centre de masse et du pied d’appui sur l’axe des forces gravitaires, de manière à opposer le poids du corps à la poussée verticale du pied. L’enjeu d’un tel équilibre dynamique est de favoriser la transformation des forces d’appui au sol en translation vers l’avant, en limitant le moment de rotation latéral issu des appuis podaux (énergétiquement coûteux et risque de chute).

Puisque nous émettons l’hypothèse que l’activité des muscles du dos est directement liée à l’utilisation de la gravité pour stabiliser le corps lors de la marche, nous souhaitons utiliser les contextes de micropesanteur et d’hyperpesanteur pour démontrer leur rôle fonctionnel dans la locomotion. Cette étude permettra de caractériser précisément les mécanismes de contrôle et les différentes activités segmentaires du tronc au cours de la marche, ce qui n’a encore jamais été établi malgré l’apport majeur d’une telle connaissance. Simultanément, ce programme expérimental permettra d’observer le comportement intrinsèque des oscillateurs neuronaux (« CPG ») responsables de la rythmicité et de l’automaticité de la marche pour les jambes et le tronc en l’absence de contraintes gravitaires.

Les retombées de ce type de travaux seront particulièrement appréciées dans le domaine de la médecine physique et réadaptation, de la robotique d’inspiration biomimétique, et de l’ergonomie des dispositifs sportifs présents en missions spatiales

APPLICATION DE L’EXPERIENCE

Les retombées cliniques de ce type de travaux seront particulièrement appréciées dans le domaine de la médecine physique et réadaptation. Elles permettront aux médecins de rétablir une marche normale chez des patients présentant des troubles posturaux (scoliose, camptocormie, infirmes moteurs cérébraux, …) que ce soit par le biais de la conception de corsets adaptés, de la chirurgie, de la rééducation du rachis ou encore de l’injection de toxine botulique.

Les transferts de ces découvertes dans le domaine de la robotique d’inspiration biomimétique sont aussi des plus pertinents. La reproduction de la marche humaine chez les robots humanoïdes (très appréciés pour les assistances à la personne) est actuellement un véritable défi. Le transfert des masses du tronc et la définition des degrés de liberté nécessaires à son articulation sont aujourd’hui des problématiques majeures en robotique, qui requièrent une meilleure connaissance des stratégies motrices humaines.

D’autre part, la compréhension de l’organisation des activités motrices de l’ensemble du corps en condition gravitaire non terrestre a des implications directes sur l’ergonomie des dispositifs sportifs présents en missions spatiales (tapis roulant et cycloergomètre) et le bien être des astronautes pendant et après leurs missions.

Enfin, les connaissances fondamentales apportées par cette expérience dans le champ de la biologie sont loin d’être anodines. D’un point de vue pratique, il s’agit ici de définir le rôle fonctionnel des muscles du dos, mais bien au delà, de caractériser le fonctionnement des oscillateurs neuronaux (Central Pattern Generator) permettant la réalisation des activités locomotrices. Premièrement, l’expression des CPG commandant l’activité des membres inférieurs chez l’homme n’a jamais été mesurée en l’absence de gravité, alors qu’elle est la principale contrainte rythmant les réseaux neuronaux concernés. Il est donc particulièrement intéressant d’étudier comment la cadence locomotrice humaine peut être influencée par ce contexte très particulier. De plus, l’interaction entre les CPG des niveaux thoracique et lombaire de la moelle épinière est encore méconnue chez l’homme. La mesure des activités dorsales en micropesanteur et en hyperpesanteur nous permettra de les mettre directement en relation avec leur nécessité contextuelle et/où une origine émanant de l’activité issue des membres inférieurs.

 

 

Space out Space, Jean Lambert-wild en impesanteur. Episode 1

François Royet

Spectacle

Calenture N°113 de L'Hypogée