Carnet de bord # 3 Le Clown du rocher

Par Catherine Lefeuvre & Jean Lambert-wild

 

Tentatives au lointain 

 

Nous devons maintenant expérimenter les idées et suivre les intuitions des interprètes qui doivent évoluer et occuper l’espace qu’est ce vaste étang niché à l’orée du bois, dans les hauteurs du parc du Pôle Cirque de Nexon.

 

Prêts à se jeter dans la bataille, Jean Lambert-wild et Martin Palisse, tous deux habillés d’un pyjama rayé bleu ciel, commencent par mesurer la dimension du site. Tout prend plus de temps, ici dans cet espace de plein air. Il faut courir d’un point à l’autre pour tester et évaluer la dimension visuelle de chaque angle de vue, de chaque hauteur ou dénivelé. Il faut lancer sa voix par-dessus l’étang pour se faire entendre et se parler. Le lieu est imposant et exigeant. L’enjeu est de l’apprivoiser vite si l’on veut avancer et voir se déployer la fable de notre bousier. 

Laure Wolf, habillée d’un frac blanc façon banquiste, est la narratrice. Elle nous invite par sa voix calme et posée à une discrète connivence : l’espace devient un biotope où le spectateur est à l’affût, tout comme elle, attendant de voir surgir de sa tanière cette espèce improbable, indéfinie, sauvage, instinctive et colorée dont il est question dans ce spectacle : l’artiste-bousier. 

Le tronc du chêne à l’aplomb de l’étang, au lointain, est une première tentative d’apparition –disparition que nous validons avec enthousiasme. Le bousier à pyjama et chapeau blanc conique (Jean Lambert-wild) apparaît et fait le tour de l’arbre. Les mains dans le dos, il marche d’un pas nonchalant et son regard est perdu dans la cime des arbres alentours. Cette image très picturale est d’une surprenante efficacité. Une ligne claire s’impose au regard avec ce ton-sur-ton du bousier bleu-blanc dans ce décor verdoyant. Le personnage prend une dimension fantastique et la passion de Jean Lambert-wild pour Jérôme Bosch semble se cristalliser dans cette image introductive qui démarre le spectacle. 

L’arrivée du deuxième bousier à pyjama rayé et cône noir (Martin Palisse), confirme ces premières impressions. La scène devient un tableau où les couleurs créent une intensité dramatique en donnant une dimension surréaliste à ces deux personnages. Il descend le chemin qui mène à l’étang en formant des courbes et en jonglant avec trois balles rouges. Il rejoint l’autre artiste-bousier aux prises lui aussi avec une balle en acier rouge, si grosse qu’il peine à l’enlacer. 

Au creux de ce chemin, le labeur de Sisyphe peut commencer : la lourde boule d’acier rouge est hissée avec difficulté sur le haut du talus. Elle redescend aussitôt en roulant dès que la maladresse, l’inattention, la fatigue ou le plaisir de l’éternel retour de notre clown-bousier la fait retomber dans la pente. Le bousier-jongleur à cône noir, lui, s’amuse de tant d’efforts alors que ses trois balles rouges dansent malicieusement au-dessus de lui.

Labeur et dextérité, poésie visuelle et sonore sont les polarités d’une même action à trouver. Elle consiste à apprivoiser un univers en devenir où le jeu, le jonglage et la dramaturgie font création d’une nouvelle géométrie poétique.

Avec ces tentatives au lointain, voici une première esquisse qu’encouragent les libellules de l’étang qui volent en s’accouplant.

 

Spectacle

Calenture N° 227 de l’Hypogée