Carnet de bord # 6 En attendant Godot

Par Jean Lambert-wild & Lorenzo Malaguerra

 

Beckett et la peinture

Nous savons que Beckett fit cette confidence à Ruby Cohn que L’écriture de "En attendant Godot" avait pour origine une toile du peintre romantique Allemand, Caspar David Friederich, intitulée" Deux hommes contemplant la lune".

Les rapports entre Beckett et la peinture sont nombreux, sa correspondance en témoigne, ses écrits esthétiques montrent l’affinité profonde de Beckett avec l’art pictural. Il était amateur d’art. Il fréquentait les musées et il fut compagnon de Giacometti, Henri Hayden, Avidgor Arikha. Cette relation se retrouve dans les descriptions de "En Attendant Godot", dans le soin que Beckett eut pour chaque indication, les placements comme la composition de la lumière.

Mais, il faut être attentif et ne pas confondre la beauté esthétique d’une image à la résonance pour la pensée d’un tableau. Qu’est-ce qui fait Tableau dans l’œuvre ? Ce n’est pas seulement une question pour le décor et la lumière. C’est aussi une question de jeu, de costumes, de placements, d’immobilité soutenue lors des « Silences ».

Dans une lettre adressée à Duthuit à propos des idées du scénographe Nicolas de Staël concernant "En Attendant Godot", Beckett écrit « Il voit ça en peintre, pour moi, c’est de l’esthétisme. On a fait du décor de ballet et de théâtre, à leur grand dommage je crois, une annexe de la peinture. C’est du Wagnérisme (…) Il faut que le décor sorte du texte, sans y ajouter. Quant à la commodité visuelle du spectateur, je la mets là où tu penses. »   

 

A tâtons nous progressons

Nous devons donc être vigilants et ne pas nous laisser conduire par des tentations faciles. C’est un soin dans les détails mais c’est aussi une couleur de l’esprit que nous devons trouver… Parfois rouge, grise ou blafarde comme la lune.
Les toiles de fond que nous utilisons pour notre décor, la représentation de la lune qui se lève à la fin de chaque Acte, furent l’objet de nombreuses et âpres discussions avec Renaud Lagier dont la complicité avec Jean Lambert-wild est grande puisqu’ils travaillent ensemble depuis plus de 20 ans. Devions-nous, par exemple figurer la lune de manière naïve en utilisant un mobile lumineux, ou devions-nous la figurer par quelques rayons, ou encore faire en sorte que le décor tout entier soit le miroir de l’astre des sélénites ! De nombreux essais furent effectués avec Patrick Demière le peintre décorateur de la Comédie de Caen pour trouver les justes pigments, les justes matières, qui permettraient aux éclairages d’accompagner l’écriture, de révéler sans fards excessifs ce qui se joue à chaque acte. Nous avons étudié toutes les références tant dites par les personnages qu’écrites dans les didascalies pour examiner l’évolution picturale de chaque acte. Certaines trouvailles nous enchantèrent, d’autres nous laissèrent une amertume douteuse dans les yeux. Mais à tâtons, nous progressions, décidés à ne pas corrompre notre vue dans des idées qui ne feraient pas sens.

« POZZO : (…) Veux-tu regarder le ciel, porc ! (Lucky renverse la tête) Bon ça suffit. (Ils baissent la tête.) Qu’est ce qu’il a de si extraordinaire ? En tant que ciel ? Il est pâle et lumineux, comme n’importe quel ciel à cette heure de la journée… »  

"Mais à cet endroit, en ce moment, l’humanité c’est nous"

Désormais, nous devons mettre en lumière ce qui se joue, ce qui se dit. C’est une entreprise radicale, car trop de douceur affadirait la tragédie et trop de noirceur décalerait le paradoxe de certains rires. Nous devons trouver les formes du silence de la lumière. Car la lumière sur une scène est une écriture qui projette le vivant hors de son enveloppe. C’est le guide des abîmes. C’est l’aiguillon de l’infini. Une aiguille lumineuse qui transperce le temps, l’espace et la matière. Elle prend sa source en nous et hors de nous. Elle danse sur ce rideau de peau, cette dernière parenthèse entre nous et l’image du monde. Elle rampe et nourrit les ombres. Ce cube noir, la scène, est une maquette des abîmes, mais c’est aussi un coin du ciel reconstruit par l’homme pour mettre en lumière l’homme… car comme le dit Vladimir « (…) Mais à cet endroit, en ce moment, l’humanité c’est nous, que ça nous plaise ou non. (…). »

Aujourd’hui avant de reprendre les répétitions, nous recevons, par email, de notre ami Benoît Monneret cette intelligence qui guidera notre journée. « Ce qui me frappe le plus chez Beckett, c'est la tendresse de l'auteur. C'est une couleur rose-orangée qu'il pose sur un monde gris. On croit que l'on va étouffer et c'est le contraire qui se passe, on respire un air vivifiant. »

EN ATTENDANT GODOT - Carnet de bord # 6

François Royet

Spectacle

En attendant Godot résonne aujourd'hui avec une forme d'évidence. En ces temps de flux migratoires, où des...