Carnet de bord # 4 En attendant Godot

Par Jean Lambert-wild & Lorenzo Malguerra

"Mais que faites vous ?"

En entrant par inadvertance dans la salle, un jeune homme a eu cette question formidable : « Mais que faites vous ? » … « Nous attendons Godot ! » a répondu Michel Bohri… « Il faut bien passer le temps » a rajouté Fargass Assandé. «Ah ! » répondit le jeune homme. « Mais restez donc encore un peu » lui proposa Marcel Bozonnet. Jean Lambert-wild traversa la scène pour lui prendre son manteau et porter son sac.

Mais, déjà le jeune homme s’était éclipsé. Ne restait dans la salle que l’écho de sa question « Mais que faites-vous ? » auxquelles aucun d’entre nous n’avait répondu.   

 

Pouvions-nous y répondre ? Aurions-nous pu faire une réponse collective ? Nous aurions-pu, bien-sûr, dire que nous répétions une pièce de Beckett, que nous étions en train de revoir l’acte I, que nous avions quelques difficultés dans nos placements, que le pliant ne fonctionnait toujours pas, que cela était un problème important, car comment s’asseoir si l’on n’est sûr de rien. C’était bien-sûr une réponse cohérente car c’est bien ce que nous faisions à cet instant. Mais la cohérence de la réponse n’enfermait-elle pas le sens de la question ? Que fais-tu Lyn ? Et vous Fargass, Michel, Marcel, Jean ? Que faites-vous ? « J’écoute » dit Lyn. Mais quoi donc ? « J’écoute ce qui vient de la scène mais aussi ce qui vient de la salle. J’écoute aussi ce qui vient de moi » Et pourquoi donc ? « Pour les associer bien sûr». « Je cherche… je cherche » répond Fargass. Mais quoi donc ? « Je cherche à comprendre comment répondre à ce qui m’est dit » Mais qu’est ce qui vous est dit ? « C’est aussi cela que je cherche à comprendre ». Michel songe « Peut-on me refuser ce que l’on m’a demandé ! J’étais ici hier. J’essaye d’être là aujourd’hui.» Mais à quoi bon ? « Je pourrai bien-sûr me déplacer, me mettre là par exemple. Mais pour me déplacer, il faut d’abord que je sois certain d’être où je suis. »

Marcel plein d’entrain reprend d’une voix riante «D’abord, le placement. Œuvrer à trouver le placement. » Mais de quoi ? «  Mais de tout voyons, du sens, du phrasé, de la portée, des tensions, de tout ce qui fera que nous serons justes sans plus nous en aperçevoir. » Et toi Jean que fais-tu ? « Je m’exerce à être présent à mon existence. » Présent à quoi ? « À mon existence bien-sûr ! Comment voulez-vous que je danse ou que je pense sans cela ? Il faut que je trouve l’appui et le levier de mon chaos pour le hisser au monde. »

 

 

ESTRAGON : On trouve toujours quelque chose, hein, Didi, pour nous donner l’impression d’exister ?
VLADIMIR (impatiemment) : Mais oui, mais oui, on est des magiciens. Mais ne nous laissons pas détourner de ce que nous avons résolu. (…)
 
Un acteur est un athlète du doute. La constance de son errance fait de ses rêves les chaloupes de nos émotions naufragées. Tous ces bouleversements qui rompent la tranquillité du quotidien ne sont jamais figés. Nous les construisons et les détruisons à chaque instant. L’art de l’acteur est d’être l’architecte de la grandeur de nos effondrements. Un jour suffit qu’une représentation vide au lendemain.

Le théâtre est toujours transitoire, il est la détermination volontaire que notre chaos s’affirme en face de l’infini car en dépliant une intensité, l’acteur laisse les spectateurs seuls face à l’immensité.

Jouer est une solitude, la partager fait théâtre.  

 

 

EN ATTENDANT GODOT - Carnet de bord # 4

François Royet

Spectacle

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