Carnet de bord # 9 En attendant Godot

Par Jean Lambert-wild & Lorenzo Malaguerra

 

Jour de première, le travail accompli dans le cocon d’une équipe s’ouvre au public. Cette première représentation, but ultime que l’on attend et que l’on craint, doit confirmer que les hypothèses posées en répétitions sont les bonnes, ou pas. La qualité d’un spectacle dépend de la nature de la rencontre entre la scène et la salle.

Un autre travail commence alors pour ajuster la représentation à ce nouveau contact. Resserrer des rythmes, ménager des suspensions, être attentif aux rires et à quels moments ceux-ci se déclenchent, pointer aussi les flottements d’attention que l’on ressent nettement depuis le plateau. Ainsi, si certains metteurs en scène suivent toutes les représentations d’un spectacle afin de maintenir les acteurs en état de travail permanent, d’autres préfèrent laisser aux acteurs le soin de s’emparer du spectacle une fois la première passée. Notre configuration originale à trois metteurs en scène dont deux sur le plateau nous offrira de la souplesse dans le suivi. Nous avons pratiqué la course de relais jusqu’ici, la suite sera basée sur le même modèle.

Confiance et fragilité

Il faut réussir à se présenter à cette première dans un état qui réunit à la fois confiance et fragilité. Confiance dans cette multitude de rendez-vous que fixe une mise en scène : regards, positions du corps, déplacements, manipulation des accessoires, numéros de clown, enchaînements des répliques, silences ; fragilité pour dialoguer avec la salle, être attentif à ce qui vient des spectateurs, percevoir les soupirs, les toux intempestives, les chuchotements et parfois ce magnifique sentiment de sentir une communauté rassemblée devant soi. Dans ce spectacle, nous jouons beaucoup avec le public et les répliques adressées à la salle, dont le monologue de Lucky, ont un rôle essentiel dans la formation de cette communauté

Un sport d'équipe

Nous nous sommes imposés, depuis les derniers filages, un esprit de solidarité à toute épreuve sur le plateau. Sur une pièce comme celle-là, les petits moments de déconcentration, les erreurs de texte et les passages à vide sont possibles. Ils peuvent parfois contaminer le partenaire, mettant ainsi tout le spectacle en danger. Ainsi, Vladimir et Estragon sont en scène durant 2h10 sans interruption et multiplient les virages à angle droit. Chacun doit se sentir responsable de la partition et de l’état de forme de son partenaire. Cette éthique ne nous est évidemment pas propre et n’est pas non plus destinée à assurer du réconfort ou de l’amitié. Elle crée à elle seule une circulation de l’énergie entre les acteurs qui soutient le spectacle et produit de l’émotion. Par plusieurs aspects, le théâtre ressemble à un sport d’équipe et ses interprètes à des joueurs de water polo qui, comme dans le film de Nanni Moretti Palombella rossa, maintiennent la tête hors de l’eau dans un monde qui fait naufrage.

Nous avons tenté, au fil de nos carnets, d’expliciter les raisons pour lesquelles nous mettions en scène "En attendant Godot" aujourd’hui et donner un écho de l’intérieur de ce laboratoire. Cette démarche nous a imposé un exercice de réflexion et de formulation claire des différents éléments de la machine théâtrale. Beckett nous a réuni, nous a fait souffrir un peu (quelle pièce !) mais nous a surtout permis de partager le plaisir de cette aventure. Puisse notre spectacle être profondément populaire, accessible à tout un chacun, c’est comme cela que nous l’avons imaginé, au plus près de l’esprit beckettien de la dérision dans le tragique, de la légèreté dans l’insupportable.

Show

En attendant Godot résonne aujourd'hui avec une forme d'évidence. En ces temps de flux migratoires, où des...